Le Cimetière des Saints Innocents

Le plus grand cimetière Parisien au Moyen age était celui des Saints Innocents :

Au cœur de la rive droite de la Seine, il jouxtait l’église du même nom, nommée ainsi en l’honneur des enfants massacrés en Judée sur l’ordre d’Hérode.


25 générations s’y accumulèrent, pour devenir à la fin du moyen âge un véritable foyer d’infection.

On racontait de bien étranges histoires se déroulant au Cimetière… On disait que les morts pouvaient sortir de leur tombe, pour défendre ou attaquer le passant, selon qu’il soit pieux ou dédaigne ses devoirs envers les défunts. Si, soûl on trébuchait sur un crâne oublié, on risquait la vengeance des trépassés… De pareilles histoires devaient  inciter à la bonne conduite en ce lieu… Et pourtant le récit qui va suivre va vous conter bien le contraire…



Le cimetière médiéval était l’un des lieux où se déroulait la vie publique de la misère urbaine et de nombreux actes judiciaires de l’époque citaient celui des Saints Innocents.

Il était entièrement inclus dans un quartier de miséreux, ainsi le fabliau des Trois Dames de Paris nous donne une description de l’environnement où il n’y a que: « gens povres ou truans qui se couchent par ses ruelles » (texte intégral du fabliau en page annexe, illustrant également la mauvaise réputation des Parisiennes du XIIIe siècle)
Les Charniers

Il y avait quatre Charniers : Le Vieux (rue aux Fer), le Petit ou de la Vierge (rue Saint Denis), des Lingères (rue de la Ferronnerie) et des Ecrivains (rue de la Lingerie).En forme de trapèze, d’environ 80 m sur 100, le cimetière était situé sur les longueurs entre la rue aux Fers (actuelle rue Berger) et de la Ferronnerie, puis sur les petits cotés entre les rues Saint Denis et de la Lingerie. Durant le jour, il était animé par une population commerçante : étals, boutiques et même plusieurs tavernes ! Les animaux livrés à eux-mêmes y étaient très nombreux, on notait la forte présence des cochons déterrant les cadavres, mais également celle des chiens errants déféquant sans vergogne sur les sépultures…
Lieu ouvert et donnant sur le marché des Champeaux, il fut clos de murs, à l’initiative de Philippe Auguste, vers 1186, afin de tenter vainement de faire cesser ce scandale.
Les charniers furent ensuite construits au XIVe siècle, ils constituaient les galeries bordant le cimetière. Ces arcades entassaient, dans les greniers, les os décharnés retirés des fosses qu’il fallait vider en raison du manque de place (afin que les ossements exhumés fussent plus rapidement desséchés et réduits en poudre).
La Danse Macabre
C’est dans le charnier des Lingères que fut abritée la peinture nommée Danse Macabre, réalisée en 1424. Elle représentait les morts saisissant les vivants, n’épargnant personne, puissant ou misérable : « Telz comme vous un temps nous fumes, Tel serés vous comme nous sommes… »`

Ces arcades constituaient les galeries sombres et humides qui servaient de passages aux piétons : elles étaient pavées de tombeaux abritants les plus fortunés, tapissées de monuments funèbres et bordées d’étroites boutiques :  lingerie, mercerie et bureaux d’écrivains publics.

Le cimetière lui-même était un lieu de promenade populaire et de rencontres :

Les écrivains publics offraient leurs services aux passants et les nombreux marchands proposaient des marchandises de deuxième choix au milieu des tombes.
Les prostitués vous aguichaient, de jeunes fêtards ivres dansaient et festoyaient, cela sans compter la menace des pilleurs cachés, détroussant les visiteurs imprudents.

À cela s’ajoutait la présence de receleurs d’objets volés, de vagabonds et oisifs en tout genre, sans oublier les prédicateurs et bonni menteurs en proie aux victimes crédules.

Un voyageur de l’époque nous décrivit cette ambiance : « Au milieu de cette cohue, on venait procéder à une inhumation, ouvrir une tombe et relever des cadavres qui n'étaient pas encore consommés ».

La proximité des défunts ne gênait pas le public, mais on se plaignait souvent des relents fétides qui s'échappaient du sol et des éboulements de terrain qui découvraient soudain des corps plus ou moins décomposés... Cependant le badaud comme le voyageur y affluait avec intérêt et curiosité.

Bizarrement, le cimetière était même un coin prisé : lieu béni, loyers très modérés, immunité contre la police et confort suprême de l’époque :  l’éclairage public la nuit grâce à la lanterne des morts…qui fut probablement la tour Notre dame des Bois, le plus ancien monument du cimetière.

Mais il ne fallait pas y prolonger la nuit, Rabelais nous conte que les « guenaulx, clochards, pouilleux » y vagabondaient, sans compter les repris de justice qui venaient s’y cacher. Les cimetières parisiens avaient une réputation si mauvaise que l'auteur conclut : « C'était une bonne ville pour vivre, mais non pas pour mourir. »

Cérémonie d’enfermement
d’une recluse aux Innocents
Pourtant, le cimetière des Saints Innocents s’inscrivait comme terre sainte dans le cœur des Parisiens. Ceux qui n'y étaient pas inhumés réclamaient parfois qu'une poignée de terre provenant des Innocents soit placée dans leur tombeau…

Il y avait aussi une catégorie très particulière d’habitantes perpétuelles au cimetière : Les Recluses.

Elles étaient emmurées vivantes dans une loge adossée à l’église des Innocents ou dans « une maisonnette toute neuve dedans le Cimetière »
Les recluses décident de leur enfermement soit par vocation, soit par pénitence. Ces dernières s’en remettaient au bon vouloir des passants pour se nourrir, qui leur glissaient boissons et nourriture par une petite ouverture grillagée.

Une certaine Alix la Bourgotte, décéda en 1470, après 46 années d’enfermement, recluse aux Innocents par pur esprit de dévotion religieuse…
D’autres y étaient contre leur gré, comme Renée de Vendômois en 1486, condamnée pour le meurtre de son mari à être emmurée pour le restant de sa vie.

Ces « mortes au Monde » bénéficiaient d’un rituel comparable à un enterrement lors de leur enfermement. La recluse murée dans sa cellule vivait constamment dans le noir, comme dans un tombeau :
 « Morte au monde et ensevelie, tu dois être sourde et muette pour les choses du monde » Selon Aelred, Abbé de Rievaulx.

On peut lire dans le roman « Je, François Villon » de Jean Teulé, le récit remarquablement précis de la cérémonie d’enfermement d’une recluse au cimetière des Innocents (extrait disponible en page annexe).

Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le cimetière des Innocents ne cessera d’accueillir les Parisiens morts ou vivants.
Durant une nuit de l’année 1780, un restaurateur de la rue de la Lingerie retrouva son cellier débordant de cadavres à divers stades de décomposition : le mur des deux étages de la cave de sa maison céda sous la pression d’une fosse mitoyenne.

Cet incident provoqua la fermeture provisoire du cimetière, avant sa destruction en 1786 sur ordonnance du Parlement pour des raisons évidentes d’hygiène publique.

Les ossements furent retirés des fosses, puis transportés dans les futurs catacombes que nous connaissons aujourd’hui, ainsi créés à cet occasion…
 

8 commentaires:

  1. Excellent post, rempli de citations et d'anecdotes croustillantes, surtout pour une période de l'histoire ou il est difficile de trouver des informations de cette qualité. Bravo c'est très réussi.

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  2. De la part du cataphile Gilles Thomas (co-auteur de l'« Atlas du Paris Souterrain ») :

    Il me semble qu'il y a quand meme pas mal de sources possibles sur le sujet et quelques travaux dont parmi les plus importants : les écrits du docteur Thouret en 1786 (fonds ancien de la Bibliothèque du Museum), et dans la compilation moderne de documents anciens le catalogue de l'AAVP sur le cimetière des Saints-Innocents, et l'ouvrage de Christine Métayer justement récompensé "Au tombeau des Secrets".
    En tout cas bravo pour ce sujet du blog !

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  3. Vraiment intéressant et passionnant , ou peut on voir les gravures ?

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  4. Bonjour,
    Je viens d'avoir le livre "A la rencontre des écrivains français" et en cherchant des informations sur Le bal des Ardents, je tombe sur votre site. Très intéressant. Je me fais plaisir à le lire. Merci et bravo pour ces informations pas si simples à trouver.Bonnes fêtes de fin d'année.

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  5. Après un projet jamais publié par Rosemonde Pujol, le cimetière des Innocents est l'objet d'un roman devant paraître le 20 juin 2013 aux éditions France-Empire : "Le tombeau des Vifs".

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  6. Blog sur ce sujet très intéressant, c'est en lisant Je, François Villon que j'ai voulu en savoir plus sur les loges des recluses.
    Toutes ces informations mon bien renseigné.
    Merci au rédacteur et aux commentateurs.

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  7. C'est également en lisant Je, François Villon que j'ai voulu en savoir plus sur les recluses car cela me paraissait invraisemblable !

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    1. les recluses sont bien réelles, par contre le "pâté de pendu" cité par J. Teulé relève plus de la légende.

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